... Une forme ronde, tantôt fermée, tantôt ouverte, parcourt l'une des dernières séries de Christophe Cartier. Interrogation sur le geste et la matière du peintre.
(...) La série qu'il présente est construite sur le principe du hasard et de la nécessité.
Le hasard prend la forme impulsive que produit le geste brut de l’artiste. En l’occurrence une forme ronde, répétitive comme une signature. Élaborée en couches picturales superposées, elle acquiert du relief et devient le point de départ de la suite du travail. A partir de cette forme pulsionnelle, l’artiste cherche à démonter le geste, à remonter le processus créatif. A comprendre comment l’un et l’autre adviennent. La technique peut varier dans cette recherche du double, faire appel au crayon ou à un procédé de reproduction mécanique. L’essentiel de la démarche étant d’éviter les automatismes. De recréer en conscience ce que le geste primitif a donné. De réfléchir à l’acte de peindre au moment où celui-ci s’opère.
Dans cette déclinaison patiente d'une forme. Christophe Cartier allie une grande rigueur à une parfaite maîtrise technique. Une très belle série modulable, composée d’une douzaine de diptyques verticaux mène à leur apogée les effets de miroir, et illustre superbement la problématique du jeune artiste : entre le physique et le mental, trouver le point d’équilibre de la peinture.
Corinne IBRAM, 1994
(...) Maintenant, Christophe Cartier a de plus en plus tendance à rompre le déroulement simple des séries par le dédoublement, c’est à dire assez abruptement par recopier le tableau qu’il vient de faire. Il explique que, la première fois, il ne profite guère du processus de création, emporté par le travail qui le tient, alors que la seconde fois, refaisant posément son tableau, il jouit pleinement du processus de création. Cette jouissance, proche du plaisir de la relecture qu’appellent de façon évidente certains romans contemporains (4), traduit certainement le désir d’acquérir la certitude d’avoir fait et bien fait, d’être incontestablement le créateur et, paradoxalement, pas seulement un copieur, le reproducteur aveugle de ce qui jaillit du fond de soi.
En recomposant méticuleusement son premier tableau, le peintre jouit alors du plein exercice du métier. Il se détache volontairement du monde obscur, et manifeste sans ambiguïté son désir de mise à jour. Ainsi en dépit des souffrances de la résurrection, du poids de la glaise, des boues, du froid du tombeau ou de l’atelier, des questions incomprises, de la solitude perpétuée par le pinceau et la création, s’agit-il bien pour Cartier, en définitive, de revenir à la vie.
(4) Cf. Belinda Cannone, Qu'est-ce que le monologue intérieur ?, in Quai Voltaire N° 4, 1992.
Jacques NORIGEON, 1992