Claire Nédellec
extrait du catalogue du Musée Paul delouvrier. Octobre 2012
(...)”Tout se passe comme si, au XXIe siècle, un peintre parvenu à la maturité, fort d’une œuvre se déployant sur un quart de siècle, avait entrepris de simplement peindre à son tour une réalité immatérielle, loin de tout motif identifiable (les tableaux dits « soleil » ont été ainsi intitulés après coup, l’artiste ne se proposant pas de figurer l’astre au départ). Telle serait l’idée aujourd’hui incarnée par une vingtaine de tableaux offrant une profondeur au-delà de la mesure, une profondeur qui nous oblige à nous transformer nous-mêmes pour la saisir. Car ce qui mesure la profondeur de l’objet esthétique selon Cartier, c’est la profondeur d’existence à laquelle il nous convie, une profondeur corrélative de la nôtre. Les effets de transparence et les glacis dont ce peintre est expert offrent bien entendu ce type de profondeur que Clement Greenberg appelait la « profondeur picturale » à propos des compositions purement abstraites de Jackson Pollock. Mais c’est à une autre profondeur que nous invite la peinture de Cartier, celle que nous venons de nommer la profondeur esthétique.”(...)
Jean-Luc Chalumeau
extrait du catalogue du Musée Paul delouvrier. Octobre 2012
(...)Regarder la peinture de Christophe Cartier, c’est décider résolument qu’il n’y aura pas de bavardage, il y aura, par contre, le temps que l’on a décidé de s’accorder et de lui accorder ; se donner les conditions d’un autre temps doté de mémoires, de connaissances, de vécus, d’imaginaires qui engage une durée organique permettant de se concentrer sur un objet détaché de la réalité. Explorer d’autres émotions visuelles où la rencontre indéterminée et hasardeuse est promise à une intensité qui ne se place plus dans l’immédiate rationalité. C’est ainsi qu’en s’octroyant cette autre durée qui promet des hiatus, des coupures, des discontinuités pour laisser à l’esprit des échappées, des infidélités dont le regard se nourrit que le temps du regard porté sur la peinture s’en trouve bouleversé, voire renversé.(...)
Estelle Pagès
LUMIÈRE ET COULEUR
Les peintures de Christophe Cartier exercent sur notre rétine une fascination
qui se prolonge par un éblouissement visuel comme après avoir fixé un
point lumineux.
Ce jeune artiste parvient à matérialiser le spectre solaire. On assiste
à un mouvement kaléidoscopique empreint de superpositions de papiers transparents
entre lesquels l'huile est posée par taches, par flaques, par déferlantes
et par coulures retenues par une couche de vernis. Des strates qui jouent
sur la transparence, pour des effets de matière sans matière. Ici, le
caractère floral est davantage du côté de l'imaginaire que de la réalité.
L'immersion dans la couleur supprime toute perspective. Comme dans la
peinture chinoise traditionnelle, il n'y a plus ni haut ni bas, mais un
plan unique pour la dilatation spatiale. Avec certaines peintures regroupées
en diptyque et en triptyque, l'horizon est placé plus haut, comme dans
les nymphéas de Monet auxquels les œuvres de Christophe Cartier font penser,
non par des similitudes formelles, mais par une démarche picturale pour
laquelle il trouve d'autres solutions.
Lydia HARAMBOURG, Février 2009
ENTRE DEUX
Christophe Cartier appartient d’évidence aux artistes de la série qui
s’emparent d’un motif, d’une forme, d’un thème ou de tout autre élément
récurrent pour les tirer en de longues suites qui semblent se répéter
(alors que la différence, tenue ou ténue, marque à l’évidence chaque pièce
d’une série). Cartier a ainsi décliné plusieurs séries, depuis les intérieurs
obscurs des années 80 jusqu’aux phosphènes aujourd’hui soumis sous le
vernis : chaises au miroir, spectres affectés de leurs doublures, langues
de terre stratifiées, spirales enroulées sur le centre qui les aspirera,
ombres engendrées des décombres qu’elles engendreront, coupes charnelles,
élevages de restes enfouis et relevés de traces effacées, ovulations solaires…
Insensiblement (car sans véritable solution de continuité), Christophe
Cartier est passé d’une figuration annulée à une abstraction matérialisée,
glissant d’une représentation extérieure du monde intérieur à une présentation
intérieure des apparences extérieures. Ce parcours que nous envisageons
dans sa durée macrocosmique, des origines au présent fuyant, se saisit
aussi dans le trajet de l’instant microcosmique, du passé proche au futur
immédiat, quand Cartier reprend la pulsion, la création brute, pour la
reproduire ou la régénérer, selon le processus qu’il adopte, copie ou
dérive.
La peinture de Cartier apparaît finalement pétrie de contradictions, en
recherche d’originalité et en souci de duplication, savante et naïve,
informelle et informée, minérale et déminéralisée, ternie et bariolée.
À coup sûr peinture de routier de la modernité réfléchissant la peinture,
et non moins évidemment art d’apôtre de l’immanence en quête d’une vision
du jamais vu. À tel point qu’on peut se demander si sa véritable matière
n’est pas l’entre deux, la faille, le gouffre, la profondeur invisible
que cèle la surface du visible mais que découvrent les bords quand on
écarte les images.
Jacques NORIGEON, Octobre 2008